Préambule

Je vais tenter de rapporter quelques évènements et situations que j’ai vécus ou dont j’ai entendu parler ou raconter. Comme la mémoire est capricieuse, il est possible que parmi les faits se glisseront des réalités « reconstituées » . Mais cela me permettra de faire revivre, un tant soit peu, notre famille.

La maison de Marchovelette, 86, rue Grande

 Au début ,c’est la maison de Martin Goffart et de Françoise Dangoisse. C’est la maison natale de leurs enfants : Marie, Nestor, Zénobe et Flore.

Marie s’est mariée avec Victor Mainferme (le marchau) et est partie habiter à Tillier dans une grande maison près de l’église : Victor y avait sa forge, Marie était accoucheuse mais plus tard elle tint une épicerie et un petit estaminet.

De Nestor je suis sûr de peu de choses, je sais qu’il a trouvé du travail à Namur, s’est marié avec une fille de Boninne et est allé vivre à Salzinnes, 54  rue Henri Lecocq.

Zénobe et Flore sont restés dans la maison jusqu’à la mort de leurs parents.  Zénobe y est resté jusqu’à sa mort.  Quant à Flore je ne sais pas quand elle est allée vivre avec sa sœur à Tillier.

La fille de Marie et de Victor, Laure s’est mariée avec un garçon de Tillier, Georges Franquien. Il leur fallait une maison . On peut penser que la famille a réalisé que la  maison de Marchovelette était trop grande pour Zénobe seul  et il était judicieux que Georges et Laure y habitent avec Zénobe.

Il ne faut pas croire que, dans l’entre-deux guerres, la vie sera  « un long fleuve tranquille ». Vivre à quatre ( une enfant étant née : Nelly), sur une très petite exploitation agricole n’est pas facile. D’après ce que j’ai entendu, Georges a eu plusieurs métiers pendant cette période (je ne sais plus dans quel ordre) : aux Chemins de Fer comme serre-freins, dans un atelier où l’on travaillait le fer ou la fonte, dans les verreries de Jambes ou d’Herbatte.

Ce que je sais c’est que Georges et Laure avait le souhait de racheter la maison de Marchovelette aux héritiers Goffart.  Ils avaient réussi à épargner, mais ils eurent la malchance d’être mal conseillés par un agent de change de Namur qui leur fit perdre une grande part de leurs économies.  Je ne sais pas quand ils purent acheter la maison après un arrangement avec les enfants Goffart.

Pendant la guerre 40-45

 Les photos de militaires dans la cour de la maison demandent des explications. Le fort de Marchovelette était devenu stratégique  pour la défense de Namur, d’abord en tirant les leçons de la Grande Guerre ensuite et surtout  pendant la « drôle de guerre ». Il y a eu la mobilisation de 1939, affectant des soldats à la défense des forts entourant Namur, je crois que les habitants de Marchovelette ont logé ces soldats, donc aussi dans  notre maison et sa cour est devenue un endroit   de détente pour ces soldats.

En mai 1940, les Allemands étaient aux portes de Marchovelette. Une avant-garde de soldats allemands s’est présentée à la maison et demandé des précisons sur un endroit qu’ils devaient rejoindre  entre Tillier et Eghezée. C’est pourquoi ils demandèrent avec insistance sinon avec menaces à Zénobe de  les guider. Vous pouvez imaginer l’angoisse et la peur. Quelques heures plus tard Zénobe est revenu sain et sauf mais il n’a plus jamais été le même.

C’est aussi la période de l’exode. Léon et Florimond Frippiat en prirent le chemin. Ils aboutirent en Côte d’Or chez un paysan à Semur-en-Auxois. L’aide de solides  agriculteurs était appréciée, ils débutaient même leur journée par un canon de vin. Cela ne dura pas très longtemps parce que  la Belgique capitula, les Allemands occupèrent la région  de Montbard dès la mi-juin et ils durent rentrer à Tillier.

Léon a travaillé aux carrières Lhoist pendant la guerre. Il fut affecté à la surveillance du site avec notamment la garde des explosifs. Il y avait de quoi être inquiet parce que les résistants avaient besoin d’explosifs pour faire sauter les voies des Chemins de Fer.  Je sais  que , pendant cette période, l’armée secrète  a fait déraillé et attaqué un convoi ennemi entre Marche-les-Dames et Sclaigneaux, faisant des victimes allemandes. Les représailles furent tragiques, l’occupant a fusillé plusieurs jeunes gens de Vezin, Sclaigneaux et Sclayn.

En parlant avec papa j’ai pris conscience que dans de telles situations, les choix sont parfois difficiles à prendre et qu’il ne faut pas juger hâtivement.   Par exemple,  les résistants sont-ils responsables de la mort des innocents fusillés ? Les fermiers de Tillier faisaient garder leurs champs sur ordre et sous la menace des Allemands , d’autre part des personnes souffraient de faim , pouvaient-ils les aider ? On participait au marché noir pour survivre, s’entraider et certainement pas toujours  pour s’enrichir !

 Dès 1930 à Namur , Léon Degrelle et son parti Rex avait conquis 20% de la population. Cela s’est fait avec le soutien du clergé inquiet  de la menace communiste. Alors Nestor Goffart, influencé par son environnement catholique à Salzinnes,  adhéra aux idées rexistes. Heureusement, après l’invasion de la Belgique par les Allemands, il changea d’avis.

Des enfants Franquien, c’est Jules et sa famille qui souffrirent le plus de la guerre. Habitant en ville à Salzinnes, il n’avait pas de ressources alimentaires comme ses frères à la campagne. Il se faisait aider par sa sœur Jeanne et ses frères qui lui fournissait des colis de vivres. Ce n’est pas étonnant qu’il fut résistant actif aux allemands.

Ce que j’ai entendu maintes fois raconté, c’est ce qui est arrivé le 18 août 1944 . Les forces alliées avait comme objectif de détruire le pont ferroviaire du Luxembourg , mais les Américains ratèrent leur cible et bombardèrent Namur, tuant plusieurs centaines de Namurois. Il se trouve que Georges quittait son travail et allait prendre l’autorail pour  revenir à Marchovelette. Laure s’angoissa quand elle ne le vit pas revenir à l’heure habituelle. En fin de soirée elle apprit que Namur était bombardée, ce qui l’alarma encore plus. Georges ne revint que pendant la nuit, racontant qu’il s’était réfugié dans une maison attendant la fin du bombardement.